Espionner, juger, dénoncer
Nous surfons doucement dans une vague de semi-normal – les restos font du « à emporter », on peut bronzer sur certaines plages, marcher sur d’autres, squatter dans les parcs à distance raisonnable. Mais alors que nous reprenons quelques petites libertés, nous n’abandonnons pas notre passe-temps national à la légère.
Beaucoup d’entre nous ont appris le simple plaisir d’espionner. Par espionner, j’entends juger voire même dénoncer. À la mairie, à la police ou sur les réseaux sociaux. Les justes et saints twittos ont adoré montrer avec photos à l’appui tous les flouteurs des règles.
Le nouveau saint patron du passe-temps national, fraîchement canonisé, est cette personne en Bretagne qui a dénoncé une famille de parisiens. Les gendarmes ont été alertés par un riverain qu’ils étaient en train de verbaliser sur une plage de Plougasnou pour non-respect du confinement. Mais comme tout bon dénonciateur hors la loi qui se respecte, il a bavé le noms des autres, qui eux aussi, bafouaient la loi…
La nature humaine est magnifique.
Il est tentant de dénoncer en postant ce qu’on sait. Le voisin qui organise des soirées dans son appart avec plus de 10 potes. Les ados qui se retrouvent sur le parking pour partager un joint, « mais que font les parents ?… »
Cet été, je pense que tous les propriétaires de bars et de restaurants trouveront leurs spécifications de travail étendues pour inclure l’arbitrage non officiel Covid-19. La clientèle et sa vision binaire, dénuée d’ironie et d’introspection. Les clients qui expliquent et qui jugent : « je bois un verre tranquille en terrasse au soleil avec mon ami qui est en manque de vitamine D, mais franchement le couple à côté qui est là depuis des heures, exagère ». Ou : « je participe à l’économie locale en allant à la boulangerie tous les matins mais les autres qui font la queue pour les pâtisseries sont des cons. »
Le 2 juin je repartirai travailler sur site (bye bye le télétravail) en prenant les précautions possibles et nécessaires. Et parce que certains sont déjà là-bas, j’ai des échos de collègues furieux que certains « reviennent travailler, alors qu’ils n’ont pas respecté les règles pendant et après le confinement, qu’ils ont fait des grosses fêtes, des barbecues, qu’ils ont bougé, etc. » Et d’apprendre donc que les faits et les noms des malfaiteurs ont été rapportés à la RH.
Cela a joué dans mon esprit pendant quelques jours : comment sait-on ce qui s’est passé pendant et post-confinement ? Les gens ont-il posté sur les réseaux sociaux des photos de leur fête ? Comment a-t-on su exactement qui était à cette fête ? A-t-on regardé derrière son rideau pour compter et identifier les participants ? A-t-on remarqué les sacs de supermarché en écoutant le tintement révélateur des bouteilles ? Ou a-t-on attendu de sentir l’odeur des saucisses grillées comme preuve évidente ? Facebook comme le nouveau rideau des voisins, le trou dans le mur…
Et était-on vraiment gêné par ce que cela implique en ces temps de Covid-19 ou simplement en train de régler ses comptes ? En choisissant de dénoncer ses collègues ainsi auprès de la RH, quelles sont les conséquences voulues ? Je ne sais pas.
Mais j’imagine juste, que si nous pointons le doigt du jugement en ces temps étranges, un jour quelqu’un le pointera sur nous en retour. Ou comme disent les anglais ceux qui vivent dans des maisons en verre ne doivent pas jeter des pierres.
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3 commentaires
Nathalie
La délation comme moyen de protection ? C’est une question ambigu parce que l’intention est toujours questionnable https://www.letemps.ch/opinions/lepidemie-covid19-questionne-lopportunite-delation-contrevenants
J’ai eu envie moi aussi parfois de rapporter ce que je voyais. Je ne l’ai pas fait mais je ne sais pas si c’est une bonne chose.
Fred
C’est assez tentant de vouloir dénoncer ceux qui ne respectent pas les règles qui mettent en jeu la vie de tous. La connerie de l’un peut tuer l’autre et j’exagère à peine. Je ne l’ai pas fait mais je ne condamnerai pas l’autre pour ça.
Amaya
Superbe conseil des anglais
Merci